Des dizaines de milliards d’euros sans conditions

Covid-19 : une injection sans précédent d’argent public au profit des entreprises

En France, comme ailleurs, la pandémie de Covid-19 a poussé les gouvernements à ouvrir grande leur bourse pour protéger l’économie. Prêts garantis par l’État, plans de sauvetage de l’automobile et de l’aéronautique, plan de relance à 100 milliards d’euros, chômage partiel, reports ou annulations de cotisations et charges, achats de titres des banques centrales, plan santé, plan France 2030… Fin août 2021, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire chiffrait les aides débloquées pour faire face à la pandémie à 240 milliards d’euros au total.

C’est un contraste saisissant avec le discours habituel de nos gouvernements sur les déficits publics et les restrictions budgétaires. Mais à qui profitent réellement ces aides massives ?

Avant même la pandémie, la spirale infernale des aides publiques

En réalité, cette immense générosité des pouvoirs publics vis-à-vis des entreprises date d’avant même la pandémie. Celle-ci n’a fait qu’exacerber une spirale inflationniste amorcée il y a déjà deux décennies. Avant la crise de 2008-2009, les aides publiques aux entreprises ne représentaient que 65 milliards d’euros par an. Ce montant a atteint 110 milliards d’euros par an en 2012 puis, avec le pacte de responsabilité et le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), 150 milliards d’euros par an. Soit un bond de 230 % en moins de quinze ans. Presque 7 % de croissance par an en moyenne, bien plus que la croissance du produit intérieur brut (PIB), de l’inflation, des aides sociales ou des salaires.

100% du CAC40 a bénéficié d’aides publiques Covid

Au-delà des cas de Renault ou encore Air France qui ont fait la une de l’actualité et ont dû être renfloués à coups de milliards par le gouvernement français, toutes les grandes entreprises du CAC40 ont bénéficié d’au moins une, et souvent de plusieurs formes d’aides publiques liées au Covid.

Cela vaut y compris pour des groupes comme TotalEnergies, Sanofi, Danone ou encore Air Liquide, qui ont clamé haut et fort qu’ils ne solliciteraient pas l’appui financier de l’État et ont versé des dividendes record. En réalité, s’ils n’ont pas bénéficié des aides publiques les plus visibles, ils ont largement profité des achats de titres des banques centrales ainsi que des divers plans de relance et d’investissement.

À quelques exceptions importantes près, le CAC40 dans sa globalité s’est plutôt bien tiré de la première année de pandémie. Seulement 6 groupes sur 40 ont fini 2020 dans le rouge. Plusieurs groupes de l’indice enregistraient des bénéfices de plusieurs milliards, à commencer par Sanofi avec ses profits record de plus de 12 milliards d’euros sur un an. Pour le premier semestre 2021, le CAC40 affiche même des profits record de 57 milliards d’euros. D’où la question : ces dizaines de milliards d’euros publics ont-ils été employés à bon escient ?

Un soutien massif sans véritables conditions sociales, fiscales ou écologiques

Le gouvernement a systématiquement refusé que les aides publiques aux entreprises soient assorties de conditions : ni sur la préservation de l’emploi, ni sur la transformation écologique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ni sur le partage des richesses. Il s’est contenté de renvoyer à la bonne volonté des entreprises aidées, se refusant à toute forme de dispositif contraignant. Cela revient à laisser carte blanche aux grands groupes pour supprimer des emplois, continuer à prioriser la rémunération de leurs actionnaires et changer le moins possible leur appareil productif.

Seules deux formes d’aides - les PGE et les reports et exonérations de charges et cotisations - ont bien fait en l’apparence l’objet de conditions imposées aux entreprises bénéficiaires : pas de versements de dividendes ni de rachat d’actions en 2020, et pas de présence dans « un État ou territoire non-coopératif en matière fiscale ». En réalité, au-delà du symbole, les détails de l’application de ces conditions sont très peu restrictifs.

Plus de 2000 formes d’aides, et une transparence minimale

Avant la crise du Covid-19, les aides publiques aux entreprises étaient déjà un maquis dans lequel même les plus avertis avaient du mal à se retrouver, du fait de la diversité des modalités de soutien (subventions, crédits d’impôt, prêts garantis, apport de capitaux, soutien à la trésorerie, etc.) et des institutions et niveaux de gouvernance impliqués dans leur distribution (collectivités locales, gouvernement, agences publiques, Bpifrance, Union européenne). Il en va de même pour les nouvelles aides mises en place durant la pandémie.

L’opacité continue de régner sur les bénéficiaires et les montants touchés. Pour la plupart des aides débloquées pour aider le secteur privé à faire face à la pandémie et à ses conséquences, on ne connaît que les montants globaux, sans information détaillée entreprise par entreprise. Lorsque les bénéficiaires d’une aide sont connus (par exemple pour les achats d’obligations par les banques centrales), on ne connaît pas les montants.

Plus d’un an après le début de la pandémie, rien ne justifie que ni le législateur ni le citoyen ne sache précisément qui a bénéficié, et pour quel montant, de l’argent public.

Priorité aux dividendes

En pleine épidémie, 93 milliards pour les actionnaires

Au printemps 2021, alors que la pandémie de Covid-19 n’en finissait pas de ne pas finir, alors que les groupes du CAC40 continuaient à bénéficier d’aides publiques massives… ils ont approuvé le versement de près de 51 milliards d’euros (43,2 milliards de dividendes et 7,6 milliards de rachats d’actions) à leurs actionnaires. Soit 22 % de hausse par rapport à l’année précédente. Ajoutés aux 42 milliards du printemps 2020, cela fait 93 milliards aux actionnaires en pleine pandémie.

Les plus gros distributeurs de dividendes et rachats d’actions du CAC40 au printemps 2021 sont Total (7,6 milliards d’euros, malgré une perte nette sur l’année de 7,2 milliards), Sanofi (4,8 milliards), Axa (3,7 milliards), LVMH (3 milliards) et Vivendi (2,8 milliards).

La priorité absolue donnée aux dividendes s’est confirmée au second semestre 2021, avec un versement de dividende complémentaire de près de 2 milliards d’euros de la part de BNP Paribas en septembre, ainsi que 900 millions de dividendes d’Alstom et Pernod Ricard. Plusieurs grands groupes du CAC40, dont Total et Orange, ont également décidé de verser dès cette année des acomptes sur le dividende 2022.

Un « pognon de dingue » qui aurait pu satisfaire de vrais besoins

51 milliards d’euros, c’est l’équivalent de la construction de 100 hôpitaux publics ou 1300 lycées, ou encore 36000 km de ligne ferrée TER, ou encore la rémunération des 960000 personnels soignants et non soignants des hôpitaux publics. Ou encore ce que gagnera une personne au SMIC en 3,5 millions d’années.

Les dividendes du CAC40 représentent… 140 % de ses profits

Globalement, le CAC40 a réalisé des bénéfices cumulés de 39,7 milliards en 2020 – ce qui signifie que les grands groupes français distribuent aux actionnaires l’équivalent de 140 % de leurs profits sur l’année. Autrement dit, ils reversent l’équivalent de 100 % de leurs profits, et puisent dans leur trésorerie pour verser les 40 % restants. Certaines aides publiques, comme le programme d’achat d’obligations des banques centrales, sont spécifiquement dédiées à renforcer la trésorerie des très grandes entreprises sous prétexte de les aider à « passer la crise ». On voit à quoi elles servent.

Quelques groupes ont versé des dividendes tout en ayant affiché des pertes pour 2020 (Engie, Société générale, Total). D’autres versent en dividendes et rachats d’actions l’équivalent de 3 fois (Saint-Gobain), 5 fois (Veolia) ou 13 fois (Essilor Luxottica) leurs profits…

BlackRock, premier bénéficiaire

Le principal bénéficiaire de la cuvée 2021 des dividendes du CAC40 est… BlackRock. Le fonds d’investissement est présent au capital de la quasi-totalité des grandes entreprises françaises. Il touchera à ce titre près de 1,7 milliard d’euros de la part des grands groupes français au titre de l’exercice 2020, selon les informations publiquement disponibles. C’est l’équivalent de la rémunération de près de 35000 personnels hospitaliers (soignants et non soignants) sur une année, ou encore de quoi payer l’hospitalisation en réanimation d’environ 33000 personnes infectées par le Covid-19 et souffrant de symptômes graves.

Le second grand bénéficiaire des dividendes du CAC40 est l’État lui-même, à travers ses différents bras armés financiers (Agence des participations de l’État, Bpifrance, Caisse des dépôts et consignations). On trouve ensuite le groupe Arnault puis toutes les grandes familles du CAC40 : Bolloré (Vivendi), Bettencourt (L’Oréal), Hermès (groupe éponyme), Pinault (Kering), del Vecchio (EssilorLuxottica).

En 2020, des dividendes déjà importants malgré le choc de l’épidémie

Début 2020, juste avant que le virus Covid-19 ne commence à submerger la France et le monde, le CAC40 s’apprêtait à verser à ses actionnaires (sous la forme de dividendes et de rachats d’actions) la somme record de 64,7 milliards d’euros. Avec l’irruption de la crise sanitaire, malgré les nombreux appels à les suspendre, deux-tiers du CAC40 a maintenu le versement de juteux dividendes en 2020. Seule une minorité d’entreprises qui y étaient plus ou moins obligées (les banques, les entreprises dont l’État est actionnaire direct, celles qui avaient besoin d’un soutien direct et massif des pouvoirs publics comme Renault ou Air France) les ont supprimés ou réduits. Au final, le CAC40 avait tout de même versé à ses actionnaires près de 42 milliards d’euros de dividendes et rachats d’actions.

L’emploi comme variable d’ajustement

Plus de 60 000 suppressions directes d’emplois annoncées

À quoi servent les aides publiques dont bénéficient les grandes entreprises ? Manifestement, pas à préserver l’emploi. L’État a annoncé en juin 2020 une aide de plusieurs milliards à Renault et un plan de soutien à l’automobile. Quelques jours plus tard, Renault annonçait la suppression de 15 000 emplois, dont 4 600 en France.

Au même moment, l’État a garanti au même moment un prêt de 7 milliards à Air France, à quoi s’ajoutait un plan de relance pour le secteur aéronautique. Air France en a profité pour annoncer la suppression de 7500 emplois. Également bénéficiaire du plan aéronautique, Airbus a programmé la destruction de 15 000 postes dans le monde, dont 5000 en France, et ses sous-traitants lui ont emboîté le pas.

Toujours en juin 2020, Emmanuel Macron s’est rendu dans une usine Sanofi pour annoncer un soutien à la relocalisation de l’industrie pharmaceutique. Quelques jours plus tard, Sanofi annonçait 1#700 suppressions d’emploi en Europe, dont 1000 en France.

En tout, selon les chiffres que nous avons pu récolter, le CAC40 a annoncé plus de 62 000 suppressions d’emploi dans le monde (dont près de la moitié en France) entre le printemps 2020 et le printemps 2021. Ce chiffre n’inclut pas les suppressions d’emplois chez les sous-traitants des grands groupes, qui ont été importantes dans les secteurs de l’aéronautique et de l’automobile. Ne sont pas non plus incluses les suppressions d’emploi annoncées par des groupes hors CAC40, comme Accor, Air France, Auchan, Altice, Nokia ou Lafarge.

Des baisses d’effectifs importantes dès 2020

Les effectifs cumulés du CAC40 – un peu plus de 4,8 millions de personnes – ont globalement baissé de 0,5 % entre fin 2019 et fin 2020. Cette stabilité apparente cache de fortes disparités entre certaines firmes de services qui ont connu un boom, comme Teleperformance et Capgemini, et les groupes qui ont fortement réduit leurs effectifs mondiaux avec la crise.

Dans ce dernier groupe, on peut distinguer deux catégories : ceux qui ont fortement souffert de l’épidémie (automobile, aéronautique) et qui ont répondu à ces difficultés en effectuant des coupes claires dans leur main d’œuvre. C’est le cas de Safran ou Renault par exemple. D’autres ont simplement profité pour accélérer un processus de réduction de leur effectif qui était déjà engagé depuis des années. C’est le cas des banques Société générale et BNP Paribas.

Les pertes d’emploi ne sont pas forcément liées à la performance des firmes en 2020 ni à leur santé financière. D’importants distributeurs de dividendes, comme LVMH ou Axa, n’en figurent pas moins parmi les groupes qui suppriment le plus d’emplois.

Chômage partiel : porte ouverte aux abus ?

Le chômage partiel, qualifié de « nationalisation sans précédent des salaires » par Emmanuel Macron lui-même, est l’une des mesures centrales de la réponse gouvernementale à la crise sanitaire. Les modalités d’accès à ce dispositif ont été largement assouplies, de sorte que nombreuses entreprises grandes et petites en ont profité. Ce dispositif semble avoir été largement utilisé par les grands groupes et leurs filiales (66 % des montants).

D’après les informations partielles disponibles, au moins 27 groupes du CAC40 ont bénéficié du dispositif du chômage partiel. Sur ces 27 groupes, 16 ont versé un dividende en 2020 et 22 en 2021, soit plus de 80 %. Des allégations de fraude au chômage partiel ont été formulées vis-à-vis de filiales d’au moins trois groupes du CAC40 : Atos, Bouygues et Vinci.

Les gros PGE n’ont pas empêché les suppressions d’emplois

Les prêts garantis par l’État (PGE) ont été l’un des dispositifs d’aide aux entreprises les plus médiatisés dès le début de la crise sanitaire. Au-delà des cas emblématiques (4 milliards € à Air France auxquels s’ajoutent 3 milliards de prêt direct de l’État, 5 milliards à Renault), des milliers d’entreprises souvent très petites ont profité du dispositif.

Les 46 grandes entreprises ayant obtenu un PGE représentent 0,01 % des entreprises aidées, mais 12,3 % des montants garantis. Les entreprises « faisant partie d’un groupe », autrement dit les filiales d’entités plus importantes, représentent 66 % du montant des PGE. Ces PGE n’ont pas été utilisés pour préserver l’emploi : sur les 12 plus importants prêts recensés à ce jour, 9 entreprises bénéficiaires ont supprimé des emplois entre le printemps 2020 et le printemps 2021.

Le « monde d’après » relégué aux oubliettes

Les industries polluantes ont réussi à éviter toute contrepartie climatique

Une bonne partie des aides débloquées par le gouvernement a bénéficié à des entreprises et des secteurs très polluants, à commencer par l’automobile et le transport aérien. De nombreuses voix se sont élevées au Parlement et dans la société civile pour exiger qu’elles soient conditionnées à des objectifs et des critères clairs et ambitieux en matière environnementale. En vain. Le gouvernement a systématiquement opposé son veto à toute forme de condition climatique aux aides aux entreprises. Son argument ? Imposer des conditions contraignantes ne serait pas nécessaire, puisque les entreprises concernées sont déjà « engagées » pour le climat…

Or ces fameux « engagements », justement, n’ont rien de contraignant. Peut-on faire confiance aux grandes entreprises pour réduire effectivement et drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre (et du même coup les nôtres) sans intervention ni des pouvoirs publics ni des citoyens ? Ni leur performance passée ni les solutions qu’elles proposent aujourd’hui pour y parvenir n’incitent à l’optimisme.

D’importantes aides publiques pour des technologies contestables…

Le CAC40 a réussi à imposer au gouvernement sa vision de l’action climatique : une vision exclusivement fondée sur « l’innovation » et la technologie (financées, bien entendu, sur fonds publics). Ces technologies incluent la voiture électrique, le numérique, l’hydrogène, l’avion décarboné, etc. Dans tous les cas, elles visent surtout à ne pas remettre en cause les modèles de production et de consommation établis. Le passage à la voiture électrique, par exemple, ne règle pas le problème des émissions au niveau des pneumatiques et des systèmes de freinage, et implique des émissions supplémentaires au niveau de la fabrication et des matières premières – avec donc des bénéfices limités pour le climat au final par rapport aux véhicules essence ou diesel.

La véritable solution serait une politique de transport et d’aménagement du territoire qui limite le recours à la voiture individuelle. Or c’est précisément ce dont ni les constructeurs Renault et PSA, ni les autres acteurs du secteur comme Michelin, ne veulent entendre parler.

… et pas de changements concrets pour réduire leurs émissions

Rien d’étonnant donc à ce que les grands groupes français, en même temps qu’ils clamaient haut et fort leur engagement climatique et réclamaient force argent public à ce titre, se soient activement opposés aux propositions formulées en juin 2020 par la Convention citoyenne pour le climat, qui ciblaient précisément de tels changements de pratiques et de priorités. Plusieurs dirigeants du CAC40 ont manifesté publiquement leur opposition à ces propositions. Comme toujours, cependant, le lobbying le plus discret et le plus efficace s’est déroulé à l’abri des regards. À travers l’action de ses principaux lobbys comme l’Afep (Association française des entreprises privées), France Industrie et bien entendu le Medef, c’est en réalité le CAC40 dans son ensemble qui a fait bloc contre les propositions des « citoyens ».

Sous l’angle du genre aussi, le monde d’après attendra

Aucune condition relative à l’égalité entre hommes et femmes n’a été incluse dans les aides, et le mot « femme » n’était même pas mentionné dans le plan de relance dévoilé en septembre 2020. Et cela alors que celui-ci est principalement orienté vers des métiers traditionnellement dominés par les hommes dans le secteur de la transition énergétique et du numérique. L’expérience prouve que l’introduction de dispositions et de conditions contraignantes est nécessaire pour changer les choses dans ce domaine ainsi. Les femmes ne représentaient en 2020 que 18,8 % des comités exécutifs du CAC40 et que l’indice parisien ne comptait aucune femme PDG. Dans le même temps, les femmes représentaient plus de 43 % des conseils d’administration des groupes du CAC40 – précisément parce que la loi rend obligatoire un seuil de 40 %.

Les paradis fiscaux toujours au centre du jeu

Le gouvernement français a fait un geste d’une portée toute symbolique, en exigeant de certaines entreprises soutenues via deux types d’aides seulement (les PGE et les reports de cotisations) qu’elles ne soient pas basées dans des paradis fiscaux. Mais la liste officielle des paradis fiscaux sur laquelle il se base ne comporte qu’une poignée d’archipels tropicaux. Ce ne sont pas les territoires où les grands groupes français pratiquent effectivement l’optimisation fiscale, qui sont souvent des pays européens comme le Luxembourg, la Belgique ou les Pays-Bas.

Par exemple, PSA vient de décider d’installer le siège social de Stellantis, issu de sa fusion avec FiatChrysler, dans un paradis fiscal, les Pays-Bas, probablement du fait de sa législation très avantageuse sur l’imposition des dividendes et des revenus de la propriété intellectuelle. Engie, qui a bénéficié du chômage partiel, a été épinglé pour un énorme scandale fiscal au Luxembourg.

Du côté des patrons du CAC40, une solidarité de façade

Au printemps 2020, lors du premier confinement, beaucoup des dirigeants du CAC40 ont annoncé des baisses de leur rémunération pour marquer leur solidarité envers leurs salariés et le reste de la société. Ces annonces ont-elles été suivies d’effet ? Le bilan est pour le moins contrasté. 10 patrons du CAC40 n’ont pris aucune initiative de réduction de leur rémunération : ceux d’Air Liquide, Axa, BNP Paribas, Dassault Systèmes, Engie, Hermès, Orange, Safran, Sanofi et Vivendi. Deux autres patrons, ceux d’Airbus et Teleperformance, n’ont pas vu leur rémunération officiellement réduite, mais se sont engagés à en reverser une partie à des œuvres caritatives.

Parmi les patrons qui ont effectivement réduit leur paie, certains n’ont diminué que leur rémunération fixe (en moyenne, moins d’un quart de leur rémunération totale), et parfois seulement pour deux ou trois mois. Ces choix différents expliquent l’extrême disparité des niveaux de baisse de rémunération constatés, qui dans certains cas ne représentent que 1 ou 2 % de la rémunération qui aurait été versée normalement… La réduction moyenne de rémunération consentie par les patrons du CAC40 dans leur ensemble s’établit à 8,1 %. Dans l’immense majorité des cas, ces sommes ont été reversées aux fondations d’entreprise, ouvrant droit à des déductions fiscales à hauteur de 60 %. De sorte que l’effort réel est sans doute plutôt de l’ordre de 3 %.

Petits arrangements entre amis

Comment les grandes entreprises ont-elles réussi à capter l’essentiel des aides publiques liées à la pandémie, en échappant à toute condition environnementale, sociale ou fiscale ? Essentiellement en profitant de leur proximité avec les décideurs, qui a été encore renforcée par la crise. Le CAC40 a déclaré globalement près de 20 millions d’euros de dépenses de lobbying à Paris pour l’année 2020. À quoi s’ajoutent les plus de 3 millions d’euros déclarés par les principaux lobbys patronaux, le Medef, l’Association française des entreprises privées (Afep) et France industrie. Une grande partie de cette activité de lobbying a été directement consacrée à obtenir des aides financières ou des assouplissements législatifs sous prétexte de crise sanitaire. Même chose à Bruxelles auprès des institutions européennes : entre janvier 2020 et avril 2021, le CAC40 a rencontré les dirigeants de la Commission tous les trois jours et demi en moyenne.

Mais c’est surtout l’accès privilégié aux décideurs dont bénéficient les grands groupes qui s’est encore renforcé à la faveur de la crise. Le dispositif des prêts garantis par l’État a été conçu par Bercy et la Fédération bancaire française, lobby du secteur financier dont les dirigeants sont issus… de Bercy. Les mécanismes de sauvetage ont été mis en place conjointement avec France Industrie, organe des grands industriels. Le plan de soutien à l’aéronautique a été piloté par un ancien cadre d’Airbus, dans le cadre d’un groupe de travail regroupant État, les quatre grandes entreprises du secteur (Airbus, Safran, Thales et Dassault) et des représentants des fournisseurs.

Que faire ?

De tout cela découlent deux exigences démocratiques fondamentales :

• Une véritable transparence sur les aides publiques aux entreprises, incluant tous types d’aides directes et indirectes, les montants et les bénéficiaires.
• Que les aides publiques soient assorties de véritables conditions sociales, écologiques et environnementales, avec les mécanismes de suivi et de sanction nécessaire.

Pour porter ces exigences, l’Observatoire des multinationales s’est associé à un groupe de parlementaires, d’universitaires et de personnalités de la société civile pour lancer une « commission d’enquête parlementaire et citoyenne sur les aides publiques aux entreprises ». Cette commission publiera un livre blanc avant les élections de 2022.

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